Cher Ray Zo,
Journal :
Clik-ett, clik-ett, clik-ett.
Une envie physique de faire du clavier. Je me laisse aller à la vanité de croire à une tendance caractérielle à l'écriture.
Je suis de nouveau dans une période à bas taux de répit.
Double pensée : ma vie matérielle n'est pas épuisante – j'ai besoin de répits récurrents.
Suis-je :
- trop dépressif pour catalyser des énergies et croire à un but, un projet ?
- définitivement une petite nature, un moteur de mobylette qu'essayerait de faire avancer une berline ?
Je lisais memapa tout à l'heure, et il disait que son meilleur souvenir de travail était d'avoir envoyé balader un commercial de sa boîte, pour tendance à sous-estimer le coût en travail de ce qu'il vendait. Le coût en travail de memapa, en fait.
Je crois jouer dans la même catégorie, en plus incompétent. Non seulement je ne crois pas que mes compétences puissent apporter grand-chose à une entreprise, mais en plus, mes meilleurs souvenirs de salarié sont les siestes volées (souvent dans des chiottes) ou des moments où je pouvais mettre mes supérieurs ou des clients face aux contradictions (ou l'inanité) de leurs demandes.
La société de services est tellement abstraite que les gens (il m'arrive fréquemment d'être un gens, c'est dit) exigent que n'importe quel maillon de la chaîne soit responsable de l'ensemble.
Un peu comme quand un client engueule un caissier de Mac Do parce que le pain est mal cuit. Ou le pauvre clampin chargé de réception d'appel pour une hotline de fournisseur téléphonique. C'est pas lui qui a coupé la ligne pour la quatrième fois en trois mois, mais pas de raison qu'il en prenne pas plein la gueule, il est l'incarnation du logo.
Chacun vit intellectuellement dans un village, où il est facile de savoir qui qu'a pissé dans l'abreuvoir des vaches. Même si c'est faux, comme de toute manière on est entouré par le résultat du travail et non pas par des travailleurs identifiables, si on veut obtenir réparation, on tire dans le tas, ça finira bien par bouger.
Corrélat : c'est jamais la faute de personne. Personne n'est coupable, ni responsable. Peut-être que c'est une conséquence du taylorisme appliqué aux services. Chaque activité est tellement sécable en tâches que personne n'assume le résultat. Par ailleurs, plus une société considère que la qualité du travail ne se mesure qu'à la qualité de la production et à son petit prix, moins elle prend en compte la personne qui a travaillé. Et une personne qui n'est pas prise en compte ne se sent pas responsable.
Donc mes bons souvenirs, c'est quand j'arrive à faire valoir je suis un sous-fifre, et que non, je ne prend pas cette responsabilité, pas la peine de gueuler, merci.
Le travail n'est pas un enfer. Les enfers sont mieux organisés. Par contre, dès qu'on ne fait pas ce qu'on aime, et que la peine n'est pas assez compensée, on peut assimiler ça à un purgatoire.
Je comprends encore celui qui fait avec, qui est résigné. Etant donné que je fais pas mieux. Pour l'instant. Pffff.
Par contre, celui qui ne rapproche pas son malaise de la nature même du travail, là, c'est vraiment l'Autre. Il y va plein de bonne volonté, tambour battant. Disparaît quelques mois, un an ou deux, dans le ventre de son entreprise. Puis finit pas se remontrer, la mine soucieuse, les épaules voûtées, les yeux cernés et les doigts jaunis. Sa belle énergie s'est faite bouillonnement d'ulcères. Tel chef est un connard. Tel poste est mal défini. Telle promesse n'a pas été tenue. Quelques broncas plus tard, changement ! Nouveauté dans le poste ! Fanfare et bon pied bon œil ! Donc retour à la phase engloutissement dans l'entreprise.
L'idée que le travail est néfaste, polluant, aliénant ne viendra que tard, dans un moment de crise. Et encore… Le plus convaincu se reprochera cette crise. Ce n'est pas la méta-usine qui tourne trop vite, c'est lui qui ne trime pas assez.
D'autant qu'il y a toujours un bon petit soldat pour montrer que c'est possible de ne dormir que cinq heures par nuit, n'avoir aucune vie sociale et trouver son quotidien formidable. On le trouve un peu partout, en petit nombre au point que d'aucuns le prennent pour un mythe, il tient toujours valeureusement. Qu'il trouve vraiment son épanouissement ou qu'il en soit seulement persuadé n'est pas toujours clair.
Même il n'en est pas nécessairement conscient, tout le bastringue se justifie grâce à lui. Si on ne peut pas appliquer les 35 heures, c'est à cause de lui, il paierait presque pour en faire le triple. Si on peut être viré avec les invendus du mois, c'est à cause de lui, il abat le boulot comme d'un rien et fait jouir les DRH d'un seul regard dès son premier entretien. Il est indispensable, il devient le centre de l'entreprise. Parfois patron. Et là, ça rate jamais, du sommet où il a planté son joli drapeau "Preum's", il regarde avec courroux la masse paresseuse qui ne peut pas courir et siffler sa joie en même temps.
Shoot winners. They die young anyway.
Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.
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