samedi 19 avril 2008

Tiens, un poste presque d'hier.

Cher Ray Zo,


Journal :

N'en faisons pas mystère, je déprime.
Au soucis que représente mon inadéquation avec la vie moderne, et plus précisément la difficulté d'y trouver une niche d'épanouissement pour plante rare (ni utile ni décorative), s'ajoutent quelques emmerdements connexes.

Ca a commencé avec le passage de mon père, qui m'a remis le nez dans mes soucis.
Le point :

- une épée de Damoclès dans mon entreprise : je vais probablement être convoqué pour me faire engueuler. Je ne sais pas quand, mais ça va tomber. Non sans raisons. Mais sans vraiment bonnes raisons.
- j'ai pas de temps pour moi. En fait, mon rythme de travail me laisse les matinées. Résultat immédiat, je m'endors tard, me lève tard. Ca fait 3 mois que je dois aller chez le coiffeur et j'arrive plus à aller au ciné.
- j'ai demandé mes congés trop tard, pas de la bonne manière, et je ne sais pas quand j'en aurai.
- je me mésorganise pour voir équitablement ma famille Apou et k-puchett. Et au final, le temps que je distribue ne satisfait personne, surtout pas moi.

Compensation, au poste d'accueil, je peux lire et écrire des trucs pour moi. Mon cerveau ne s'oxyde donc pas complètement.

N'empêche que je me lève sans entrain ; c'est pas un effort qu'il me faut, ce sont des mégawatts d'auto-persuasion. Pour daigner ne pas me rendormir, penser à un moment dans la journée qui sera vraiment agréable, et essayer de le transformer en centre moteur. Et des moments agréables, je n'arrive pas à en inventer où à m'en trouver à chaque fois. Donc, il y a des jours - nombreux - où je me lève et me couche avec des idées noires, de la fatigue générale, pas de cœur. Et bien sûr une envie de sieste permanente.

C'est pas grave, mais c'est un bon critère personnel pour repérer une déprime.
Ce qui me rassure un peu, c'est que je continue à réfléchir, et pas seulement sur le mode autoflagellatoire. There has to be an invisible sun that gives its hope when the all day's gone. Toussa.


En lecture :


Lu Bad Monkeys, de Matt Ruff. J'aime bien cet auteur. Il s'amuse à faire des histoires très imagées, un peu surréalistes.

Après une tentative de meurtre, une femme est emmenée en prison psychiatrique. Elle déclare appartenir à une organisation secrète, capable de surveiller les gens via des caméras invisibles placées dans les yeux des photos, qui recrute des péquins pour lutter contre les gens très malfaisants. Un grand délire paranoïaque, donc.

C'est très riche, bourré de références et de bonnes idées, c'est haletant, mais ça manquera peut-être d'innovation pour des lecteurs plus exigeants que moi. Un peu comme si Dick et Pynchon avaient lissé leur projet pour privilégier le storytelling (pas la narration, la méthode d'écriture). On peut aussi bien trouver ça plus accrocheur. Ce roman c'est de la très bonne consommation courante. Le précédent, Le Souffle de l'esprit était un peu plus habile (basé sur des cas de personnalité multiple romanesquement bien utilisés, et le tout premier traduit, Un requin sous la Lune, est un vrai bijou de SF, avec des gentils terroristes en sous-marin jaune et une simulation d'un autre auteur de SF (Ayn Rand, auteuse d'anticipation ultralibérale peu traduite mais culte aux U.S).


En lecture : Vol de sucettes / Recel de batons, de Ravalec. Deux recueils de nouvelles en un. Comme d'hab chez lui, des paumés, des ambiances speed ou confuses, et quelques petits délires psychédéliques. Plusieurs histoires à propos de tournages de clips et de pub. Des personnages naïfs qui font pitié et qui font avec.

En fait, les nouvelles de Ravalec sont généralement mieux composées que ses romans. Mais je préfère ses romans parce que ses illuminations, même si trop étalées, y sont plus prenantes : je me sens plus hypnotisé, comme par les machins à motifs brahmanes, là.



Drift-raff :

(Serial Spoiler de l'autre côté du mirroir)

Tiens, je repense à Matrix. ( Décroche pas, je parle de plein d'autres trucs en même temps. Si t'es allergique à Matrix, je te met un BIP pour reprendre ta lecture)
Vive les objets incomplets ou faussement complets, il permettent de fantasmer plus longtemps.
Un truc auquel je n'ai pas beaucoup réfléchi, c'est que la fin n'est pas exactement un happy end. Neo est physiquement absorbé par les robots de Zero city, ce qui conduit à une remise à jour de la matrice sur un mode différent de celle pour laquelle il était programmé (après sa rencontre avec l'Architecte).

Zion et ses habitants sont préservés, et sont censés vivre en paix avec les machines.
Mais après l'agentsmithisation de la Matrice, puis la défaite de Smith, il a qui dans la Matrice ? A priori, les humains pas débranchés y reviennent. Il n'y a pas de grand débranchement général où tout le monde sort des batteries d'élevage (du parc humain).

La question du devenir humain reste posée, Neo peut être appelé à revenir.
Du coup, la matrice n'est pas exactement remise à zéro. Mais malgré le ménage fait à grand bruit et la survie des humains débranchés, comment les machines vont-elles pouvoir passer à autre chose que l'élevage des corps en batteries ?
BIP.
Parce que concrètement, à la fin du film, l'humanité en est toujours là, le monde physique est présenté comme inhabitable…

Comme dans I.A de Spielberg/Kubrick, la réalité simulacre est préférée à la réalité sèche, la Terre ruinée. C'est le point de vue d'un robot, mais d'un robot conscient.

Dans Avalon, Mamuro Oshii débouche de façon plus discrète sur la même conclusion : le personnage est arrivé à un nouveau niveau, niveau de jeu total, mais niveau de jeu tout de même puisque certains corps disparaissent. La différence c'est que ce niveau, beaucoup plus proche de notre réel, ne propose pas d'objectifs. Enfin pas plus que notre réel. Ce qui laisse une liberté sur le plaisir à y participer, à la différence du réel de départ du personnage, monochrome et pauvre. Note : ce final (un plongeon dans une foule plus réelle que le réel précédent) constitue l'image inversée de la scène explicative de Matrix. L'un conclut là où l'autre commence.

Dans eXistenZ de Cronenberg, la fin relève (presque) de l'indécision. Les joueurs ont fait une boucle, et leurs références de réel sont incertaines. Et finalement, ils regardent (et pointent leurs armes) vers nous.

Dans Vidéodrome du même Cronenberg, la réalité simulacre envahit le réel, s'y est introduite. Et le réel en devient plus amusant.

Dans La petite Marchande d'allumettes (un coréen dont je n'ai pas le nom) le Game Over est la fin, fin volontairement déceptive.

D'une certaine manière, dans tous ces films, la fiction célèbre la fiction. Essentiellement parce que le monde réel est chiant.

Stalker propose un discours inverse. La fiction n'a pas de support (la Zone n'est pas un artifice ni un simulacre). Le passeur de Stalker, qui préfère croire, et c'est sa Foi qui met des couleurs au monde.
Et Stalker, par son parti pris antispectaculaire - et donc parfois chiant, hein, j'crains pas de l'dire - est la seule de ces fiction qui potentiellement peut aboutir à un impact sur le réel : elle nous renvoie le pari de Pascal, et nous propose de jouer avec les réalités.

L'échec éducatif se situe dans l'aspect rébarbatif, sans séduction.

Au final, tous ces films concluent sur le plaisir d'un jeu, du simulacre stimulant. Pourtant, ces récits échouent tous. Comme le dit Proust, l'art est au seuil de la vie spirituelle, il y introduit mais ne la constitue pas. Hors un spectateur passif ne devient pas un joueur, un initié.

Une fiction initiatrice idéale serait donc un jeu (de pistes, un puzzle film incomplet, un jeu de rôle… Les geeks peuvent avoir une vie intéressante, sisi). Cette fiction étendrait le jeu au réel (ce que souhaite d'ailleurs faire Gibson, voir son interview dans un chornicart récent).
Le problème, c'est que si on cherche à fond, étendre le jeu dans le réel, ça relève du rapport de pouvoir (prise de pouvoir ou sabotage). Ca aboutit plutôt à l'illégal. Sauf éventuellement en prenant au sérieux Pour une nouvelle sorcellerie Artistique de Ravalec.


Tu peux toujours dire que je suis un rêveur. Mais je ne suis pas le seul.


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